La médiation par le jeu est au cœur de nos démarches ludiques. Tour d’horizon de notre recherche-création sur cette notion atypique.
Le jeu pour informer, engager et décider
(Se) Saisir des enjeux de société…
Mutations organisationnelles, accélération des transformations technologiques et écologiques, nouveaux enjeux éthiques se mêlant à des conflits séculaires, nous vivons dans un monde intriqué où chaque changement de paramètre est un facteur d’impact sur le système entier.
Ces glissements et ces ruptures nous invitent à interroger les acquis. Ils bouleversent les pratiques et les modes de raisonnement. Dans ce contexte, il paraît primordial d’inventer de nouvelles expériences qui permettent d’appréhender la complexité et l’incertitude.
Et si le jeu pouvait être l’un de ces outils ?
Formidable bac à sable dans lequel on apprend et on comprend par l’action, le jeu orchestre un aller-retour permanent entre choix et effet. Il permet de mieux comprendre les situations et les transformations pour se mettre en posture d’agir à son échelle. Parce que chacune et chacun a grandi avec le jeu, nous pensons qu’il est un langage universel et un levier d’inclusion lorsqu’il s’agit de faire (en) commun tout en prenant en compte les expériences et les expertises individuelles. C’est ce que la médiation par le jeu se propose de faciliter.
…grâce à la médiation par le jeu
Parler de médiation par le jeu, c’est avant tout parler du « jeu » au sens large : en tant que média, outil et mode d’interaction. Ainsi, suivant les contextes, nous produisons des jeux vidéo, jeux de plateau, jeux de rôle, jeux transmédia ou encore jeux collaboratifs.
Notre approche mobilise les atouts du jeu dans un objectif de médiation, c’est-à-dire permettre à un public de comprendre une problématique ou de participer à sa résolution, sans en trahir la finesse ou la complexité. Pour cela, la médiation par le jeu s’appuie sur plusieurs ressorts ludiques :
→ La représentation des multiples aspects d’une situation grâce à des modes de narration interactive,
→ L’état de jeu et la mise en empathie pour développer l’implication du public,
→ La collecte de données quantitatives et qualitatives par le suivi des choix et des actions des joueurs,
Et ce, sans oublier l’expérience personnelle gratifiante que propose tout bon moment ludique !
Les objectifs de la médiation par le jeu
Comme nous l’affirmons dans notre Ludifeste, le jeu peut proposer bien plus qu’un simple moment divertissant. Nous sommes convaincus que la médiation par le jeu est une réponse pertinente pour quatre objectifs complémentaires :
1. (S’)Informer et (faire) comprendre
En tant que levier de médiation, le jeu aide à transmettre une diversité d’informations et de messages au fil de la partie, par l’histoire et l’univers qui y sont racontés, et surtout par son gameplay (règles et interactions proposées par le jeu). Les applications de la médiation par le jeu sont alors multiples : de la valorisation de recherches ou d’un corpus de données, à la construction d’une opinion, en passant par le plaidoyer autour d’une cause.
2. Défricher et explorer
Le jeu aide à mettre en récit et en interaction des thématiques dont les contours sont parfois encore incertains. Il ne s’agit alors pas tant d’informer par le jeu que de mobiliser le jeu pour mieux comprendre comment les publics joueurs se saisissent de ces thèmes émergents. Parce qu’il offre une liberté de mise en scène de sujets et de situations, le jeu vient également révéler des besoins ou clarifier des attentes lorsque les publics joueurs s’y confrontent. Le terrain de jeu est enfin l’occasion de tester le potentiel de nouvelles idées lors d’une expérience, le tout sans prise de risques.
3. (Faire) participer et engager
Alors que notre attention est toujours plus sollicitée et convoitée, une expérience ludique offre un espace-temps pour se concentrer et s’engager pleinement. Parce qu’il est un médium hautement interactif, le jeu amène naturellement à faire des choix et à initier des actions. Celles-ci peuvent, ensuite et hors du jeu, stimuler la création de nouvelles connaissances et de nouvelles initiatives, que ce soit par une personne ou une communauté joueuse.
4. Débattre et décider
Les règles d’un jeu offrent un cadre partagé et convivial qui permet tour à tour la coopération et l’expression du dissensus. Le temps d’une partie, le jeu permet de formuler, de confronter et d’expérimenter différentes options face à une même situation, afin d’en apprécier le potentiel, sans jamais en subir les conséquences réelles. Une expérience ludique peut ainsi proposer tour à tour des modes d’expression, de négociation et de décision pour créer du commun.
Un programme de recherche-création pour développer la médiation par le jeu
Ces quatre objectifs de la médiation par le jeu sont aussi les trois axes de la recherche-création menée par Casus Ludi, nourrie par nos expérimentations « maison » et les missions menées pour nos clients.
La raison d’être de ce programme de recherche-création est multiple :
→ Questionner nos jeux et nos fictions afin d’en évaluer l’impact socioculturel selon les objectifs poursuivis.
→ Gagner en réflexivité vis-à-vis de nos partis-pris créatifs afin de s’assurer qu’ils soient cohérents avec notre éthique.
→ Améliorer la qualité et l’efficacité de nos processus de conception et de production.
Ce programme de recherche-création est porté par Casus Ludi en tant que Jeune Entreprise Innovante, et est soutenu par le Crédit d’Impôt Recherche.
À terme, il se concrétisera notamment par la production d’un livre blanc et d’articles de recherche retraçant nos expérimentations et les enseignements qui en sont tirés. Nous souhaitons pouvoir proposer ces publications en accès libre et gratuit, dans la philosophie de partage des connaissances qui nous anime.
Publications connexes
→ Newsgames : Jouez l’actualité !
Conférence ― Gamers Assembly, 2016
→ Game Design : est-ce que biaiser c’est tromper ?
Conférence ― Game Camp, 2018
Game Design Fiction : Jouer, rejouer, déjouer les futurs
Casus Ludi s’associe à Design Friction, sa structure-sœur dédiée à l’exploration des futurs et de leurs imaginaires par l’approche du Design Fiction. Cette posture particulière du design fait appel à des artefacts et des expériences, aussi spéculatifs que provocants, pour se projeter dans des futurs possibles et les mettre en débat.
Nous combinons nos deux expertises pour construire des ponts entre game design et Design Fiction à travers la pratique du Game Design Fiction. Cette médiation hybride se propose d’aider les organisations et les personnes à développer leurs capacités d’anticipation.
Pour relever ce défi, le Game Design Fiction propose d’imaginer et de comprendre comment les jeux peuvent nous aider à nous projeter dans des futurs plus ou moins proches, grâce à des expériences f(r)ictionnelles et ludiques. En ce sens, le Game Design Fiction peut être défini comme le fait de proposer des jeux qui mettent en lumière des situations qui ne se sont pas encore produites. Une manière pour les acteurs et les publics de jouer, rejouer, déjouer leurs futurs.
Ce cadre de réflexion et d’expérimentation s’appuie sur la littérature émergente du champ des anticipation games (jeux d’anticipation) et du future gaming (mise en jeu du futur) – porté par les chercheurs et futuristes Stuart Candy, Paul Coulton et Joseph Lindley, ou encore John A. Sweeney – auxquels l’approche du Game Design Fiction ambitionne de contribuer.
Trois axes de recherche et d’expérimentation viennent structurer notre développement du Game Design Fiction :
1. Utiliser le jeu pour construire des scénarios du futur.
↑ Expérimentation : Flaws of the Smart City, un jeu de cartes pour construire des scénarios d’anticipation critique questionnant les futurs des villes connectées.
2. Renforcer le caractère immersif et intelligible d’un scénario du futur en le transformant en un jeu spéculatif.
↑ Expérimentation : A year in the post-antibiotic era, un newsgame spéculatif qui propose de vivre le quotidien d’une personne, suite à l’avènement de l’antibiorésistance dans un futur proche.
3. Utiliser un jeu pour connecter et naviguer entre plusieurs facettes d’un scénario prospectif ou spéculatif.
↑ Expérimentation : JusticIAble, un jeu d’enquête où les pièces à conviction racontent les multiples aspects et mettent en tension les nouvelles responsabilités juridiques, dans un monde qui oscille entre adaptation et refus vis-à-vis de l’automatisation (intelligences artificielles et robots).
L’approche du Game Design Fiction ouvre donc un large éventail d’applications concrètes qui viennent, chacune à leur manière, développer la pensée et les réflexes d’anticipation auprès des acteurs publics et privés, mais aussi les publics usagers et citoyens.
Cette mise en jeu des futurs appuie en effet le développement d’une triple compétence : comprendre, formuler et exploiter les futurs pour agir dès aujourd’hui. En mobilisant des leviers de médiation et d’actionnabilité, le Game Design Fiction offre un cadre ludique et critique qui aide à décider et à évaluer comment atteindre ou éviter une perspective possiblement à venir.
Publications connexes
→ Game Design Fiction : Bridging mediation through game design and design fiction to facilitate anticipation-oriented thinking, présenté et publié pour la conférence Anticipation 2019 à Oslo (livret blanc complet à venir)
Lire l’abstract
→ Game design fiction : croiser le jeu et le design fiction pour développer l’anticipation, publié dans la revue spécialisée Horizons Publics (n°13, Février 2020)
Lire l’article
→ Amphibious scales and anticipatory design, présenté et publié pour la conférence NORDES 2021
Lire l’article
→ La conférence ludique et fictionnelle Jeu vidéal : conjuguons le jeu vidéo aux futurs préférables (Game Camp, 2019)
Voir la vidéo